Formation numérique : le référentiel sans les formateurs

28 heures obligatoires, 183€ par formateur : le calcul qui ne colle pas

L’Éclaireur e-Santé #003

Septembre 2024. Le référentiel « Compétences numériques socles » devient obligatoire. 12 filières concernées. 28 heures à délivrer.

Tout le monde parle des 28 heures. Personne ne parle des formateurs qui vont les enseigner.

Voici le problème que l’administration n’a pas budgétisé.


L’angle mort : personne ne finance les formateurs

Budget formation 2024-2025 des IFSI en France : ~450M€ (source DREES).

Répartition typique :

  • 60% : salaires formateurs
  • 25% : équipements et locaux
  • 10% : formation continue formateurs (~45M€)
  • 5% : divers

Maintenant, la vraie question : Sur ces 10% « formation continue formateurs », combien va au numérique santé ?

Réponse après enquête auprès de 8 IFSI : entre 2% et 5%. Soit 900K€ à 2,25M€ pour former TOUS les formateurs de France.

Faisons le calcul :

  • 327 IFSI en France
  • ~15 formateurs permanents par IFSI
  • = 4 900 formateurs à former

Budget disponible par formateur : 183€ à 460€.

Avec ce budget, vous financez quoi ? Une journée de formation (coûte 800-1200€). Ou 2-3 webinaires. Ou un MOOC. Pas 28 heures de maîtrise opérationnelle sur 5 domaines complexes.


Pourquoi c’est un problème systémique

Le référentiel impose 5 domaines :

  • Données de santé (RGPD, INS, DMP) – 6 heures
  • Cybersécurité en santé – 5 heures
  • Communication numérique professionnelle – 5 heures
  • Outils numériques métier – 6 heures
  • Télésanté – 6 heures

Problème 1 : Ces compétences n’existaient pas chez les formateurs.

Un cadre formateur diplômé en 2018 n’a JAMAIS reçu de formation à :

  • La cybersécurité appliquée à la santé
  • La gestion des données patients (RGPD santé n’existait pas avant 2018)
  • La téléconsultation (explosion post-COVID)

Ce ne sont pas des « mises à jour ». Ce sont des compétences nouvelles.


Problème 2 : Le numérique santé évolue plus vite que les cycles de formation.

Le référentiel a été publié novembre 2022. Entre 2022 et aujourd’hui :

  • ChatGPT lancé (nov 2022) → Explosion IA générative
  • AI Act européen adopté (déc 2023) → Nouvelles contraintes
  • Mon Espace Santé déployé (2023) → Nouveaux usages

Un formateur formé en janvier 2023 enseigne déjà du contenu partiellement obsolète en octobre 2025.


Problème 3 : Pas de ressources pédagogiques standardisées.

Le référentiel dit QUOI enseigner. Il ne dit pas COMMENT.

Exemple : « Enseigner la téléconsultation »

Un formateur doit transformer cela en :

  • Cours magistral (combien d’heures ? quels concepts ?)
  • TD pratique (quel scénario ? quels outils ?)
  • Évaluation (comment évaluer la compétence ?)

Aucune ressource mutualisée n’existe. Résultat : 327 IFSI réinventent chacun la roue.


Le risque juridique que personne n’évoque

Le Code du travail français impose à l’employeur une obligation claire :

L’employeur doit assurer l’adaptation des salariés à leur poste et au maintien de leur capacité à occuper un emploi, notamment au regard de l’évolution des technologies.

Cette obligation s’applique directement aux cadres formateurs.

Conséquence juridique :

Si un formateur reçoit un blâme pour « incapacité à intégrer les nouvelles méthodes » et n’a jamais reçu de formation, il peut engager une action. L’employeur devra prouver qu’il a rempli son obligation.

La jurisprudence récente confirme : Le manquement à l’obligation d’adaptation technologique entraîne l’attribution de dommages et intérêts.

Aucun établissement n’est à l’abri.


Ce qui marche ailleurs : modèles européens

Pays-Bas : Formation AVANT déploiement

2019 : Intégration numérique santé dans cursus infirmiers. Mais AVANT :

  • 18 mois de formation intensive des formateurs (budget : 12M€)
  • Plateforme nationale de ressources pédagogiques mutualisées
  • Certification formateurs « numérique santé » obligatoire

Résultat : Taux de conformité 2023 : 94% des IFSI appliquent le référentiel avec qualité validée.


Union Européenne : Le cadre DigCompEdu

L’UE a publié le Digital Competence Framework for Educators :

  • 6 domaines de compétences
  • 22 compétences pédagogiques numériques
  • 6 niveaux de maîtrise (A1 à C2)

Ce cadre répond au COMMENT enseigner avec le numérique, pas juste au QUOI.


Trois leviers actionnables pour décideurs

LEVIER 1 : Mutualiser les ressources pédagogiques

Au lieu de 327 IFSI créant chacun leurs supports :

→ Plateforme régionale de partage (modèle NHS Digital Learning)

→ Consortiums IFSI par région (5-10 établissements)

Investissement : ~500 K€ par région

ROI : Économie de 50 000 heures de conception


LEVIER 2 : Certifier les formateurs

Certification « Formateur numérique santé » :

→ 40 heures de formation initiale

→ 8 heures de mise à jour annuelle

Investissement : ~2M€ national

ROI : Crédibilité pédagogique + conformité + protection juridique


LEVIER 3 : Rotation formateurs-terrain

Stage annuel en établissement :

→ 2 semaines/an en service utilisant le numérique santé

→ Maintien compétences pratiques

Investissement : Coût remplacement formateurs

ROI : Ancrage réalité terrain + mise à jour continue


Le moment décisif : maintenant

Le référentiel numérique santé est une avancée majeure.

Son succès dépend d’un élément invisible : l’investissement dans les formateurs.

Les chiffres sont clairs :

  • 0,1% des professionnels formés au numérique santé en 2022
  • 183€ à 460€ de budget par formateur
  • 4 900 formateurs à former d’ici 2026

Sans cela, on reproduit le schéma français classique : excellentes intentions réglementaires, faible impact terrain.

La différence entre le DMP (échec 2005) et ce référentiel (2024) ?

Elle se joue maintenant. Dans les budgets 2025. Dans les priorités institutionnelles.


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À propos de l’auteur

Nicolas Schneider est conseiller stratégique en transformation numérique santé et fondateur de JuliaShift. Avec 17 ans d’expérience au Service de Santé des Armées et 8 ans en consulting transformation digitale, il accompagne les startups MedTech et établissements de santé dans leur stratégie de financement, structuration de partenariats pharma, et préparation de levées de fonds.

Spécialités : financement innovation santé, structuration levées de fonds MedTech, partenariats industriels pharma, conformité IA réglementaire.

https://juliashift.eu

Fondateur de JuliaShift, spécialisé en transformation numérique en santé.

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